Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AFFAIRE DUTROUX: Ils se sont servis de moi....
4 mars 2021

Article paru dans le journal LIBERATION du 05/03/2004 par Pascale NIVELLE

Dessaisi du dossier en 1996, le juge Connerotte a chargé les gendarmes.
Arlon, envoyée spéciale.
A la barre, Jean-Marc Connerotte, le petit juge à grande réputation. Celui qui a arrêté Dutroux et sa bande. Celui aussi qui a été dessaisi du dossier deux mois plus tard. En août 1996, il avait su boucler en huit jours cette affaire qui traînait et enflait depuis plus d'un an. Mais deux mois plus tard, grosse bourde, il acceptait de partager un «souper spaghettis» avec les familles de victimes. De ce jour, Connerotte fait figure de victime et de héros pour beaucoup de Belges. En octobre 1996, sa mise à l'écart a déclenché la «marche blanche», énorme défilé populaire dans les rues de Bruxelles.
Sept ans après, long, maigre, voûté, ce magistrat de 55 ans s'assied pour déposer. Il expose son enquête d'une voix monocorde, un peu lasse, en s'aidant de diapositives. Une démonstration par affaire, sans commentaires. Après chaque enlèvement, il laisse un point d'interrogation. Pourquoi ? Pourquoi Dutroux s'emparait-il de ces jeunes filles ? «Je laisse la question en suspens», lâche, ambigu, le magistrat de Châteauneuf. Jean-Marc Connerotte n'a jamais caché ses doutes. Pour lui, l'affaire Dutroux n'est toujours pas totalement élucidée.
Point faible.
Vers midi, il en a terminé. Il s'apprête à refermer le dossier de sa vie sans émotion. Mais les avocats de la défense sont en embuscade. Me Xavier Magnée, défenseur de Dutroux, attaque le point faible de l'enquête, sachant qu'il a là un allié potentiel. Un an avant son arrestation, lors de l'enlèvement de Julie et Mélissa, Dutroux était déjà cerné. Les gendarmes connaissaient son CV, ses intentions et l'existence de sa cave aménagée «pour y cacher des filles». Ils avaient baptisé l'opération de surveillance Othello (Libération du 1er mars), et n'en ont rien dit à la juge d'alors, Martine Doutrewe. «Si elle avait eu connaissance de ce que les gendarmes savaient, aurait-elle fonctionné comme vous un an après ?» demande Me Magnée, qui veut prouver que tout, les quatre morts et les deux enlèvements, pouvait être évité. «Oui, elle aurait fait ce que j'ai fait. J'en suis convaincu, répond Jean-Marc Connerotte. J'ai été dépassé en apprenant ça. J'ignorais qu'un major de gendarmerie avait le pouvoir d'entraver l'action d'un juge.»
Puis, sous le feu des questions de la défense, qui a tout intérêt à soulever les incohérences de l'enquête, Connerotte sort de sa réserve. Lui aussi a subi des pressions des gendarmes. «Le climat était délétère. On espérait m'avoir.» Les souvenirs remontent, sa voix se brise, bientôt, il est incapable de poursuivre. En septembre 1996, un contrat a circulé sur sa tête, l'obligeant à se déplacer en voiture blindée. «J'ai appris que c'était une manipulation orchestrée par la direction de la gendarmerie», raconte le magistrat. Manipulations, pressions, campagne de dénigrement dans la presse... la gendarmerie, de tout temps contestée en Belgique, avait des méthodes musclées.
«En toute impunité».
Des années après, Jean-Marc Connerotte n'en dormait toujours pas, il a écrit au roi, en octobre 2000. Me de Cléty, conseil de l'accusé Michel Nihoul, lit cette lettre à l'audience. «Des enfants étaient séquestrés, étaient tués, et pendant ce temps certaines personnes avaient décidé, en toute impunité, de ne pas leur laisser le choix.» Jean-Marc Connerotte, épuisé, baisse la voix : «Il ne faut pas prendre ces paroles au premier degré.» Un pas en arrière. Le juge préféré des Belges se retire. Il n'a pas gagné sa dernière partie. Dans le box, les quatre accusés sont au spectacle. L'audience reprendra lundi.
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité